L'islam en marche
"Ecoute, homme blanc"
par RENÉ SERVOISE (*)
Si tous les otages étaient rendus, si les navires circulaient
librement dans le golfe, si l'ayatollah et le colonel étaient
rappelés à Dieu, quel soulagement à Washington
et à Jérusalem, à Paris et à Londres
! Et à Moscou... Or rien ne serait réglé.
Ruhollah Khomeiny et Mohamed AI Kadhafi sont des révélateurs
beaucoup plus que des inspirateurs. Interprètes d'un mouvement
appelé à leur survivre, ils sont portés par
une vague beaucoup plus qu'ils n'ont contribué à la
crise.
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L'Occident se refuse à prendre
les dimensions véritables du conflit, pressentant que s'il
on mesurait l'importance, Il serait contraint de remettre en cause
son hédonisme. Hier, un débarquement de "marines",
sur les côtes de Tripoli constituait la solution. Aujourd'hui,
porté par une de ces immenses lames de fond qui, périodiquement,
le soulèvent, l'islam connaît un renouveau né
des profondeurs de son être. Mais il y a davantage de nos
jours, il est nourri par les ressentiments des peuples prolétaires.
Aussi les aspirations religieuses et les insatisfactions matérielles
sont-elles étroitement mêlées. Elles se conjuguent
parfois avec l'inquiétude de l'avenir.
De l'Atlantique au Pacifique (du Maroc à l'Indonésie)
; du nord au Sud (des Républiques islamiques d'URSS à
l'Afrique noire), c'est le réveil de l'islam. Islam imposant
par le nombre (mille millions de fidèles) et plus encore
par la formidable simplicité de sa doctrine "Obéir
à la volonté de Dieu et contraindre les infidèles
à lui obéir." Islam jeune, par la composition
de se population croissante, alors que l'Occident, qui "a
étouffé ses fils dans son lit", vieillit
sans se renouveler, islam recevant un concours décisif de
ses femmes, effrayées par la société vers laquelle
l'entraîne l'a-moralité occidental, mortelle aux faibles.
Islam qui, comme tout mouvement, ne peut réussit que s'il
fait face à un opposant qui le grandisse. Or il l'a trouvé
dans l'Occident, et, confondant son propre combat avec les aspirations
du tiers-monde. il le transforme pour on faire le combat du siècle.
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Seul l'Occident pouvait permettre à
l'islam et de s'unir et de réunir, Pourquoi ? C'est que l'Occident,
ayant consommé sa rupture avec l'Eternel, est un scandale
pour les croyants du monde entier. Il affirme de plus en plus se
véritable nature. "L'Occidental est athée
dans le fond", (Alain). L'Oriental, lui, est religieux
et refuse la désacralisation de l'univers et la perçoit
comme une mutilation. Aussi, la liquidation des empires coloniaux
se poursuit-elle de nos jours. Voici la deuxième phase: l'éradication
de l'héritage moral légué par l'Occident, dénoncé
pour se domination culturelle et son exploitation économique.
Voici la cause générale. Le détonateur particulier
? Les centaines de milliers de réfugiés fils et filles
de Palestiniens, hier parqués dans des camps de réfugiés,
et aujourd'hui égaillés comme autant de brandons dans
l'immensité du monde islamique, à la suite de la création
de I'Etat d'lsraël en 1948.
Toutes ces aspirations de l'homme, naïvement niées et
systématiquement écartées par le marxisme athée,
l'islam les a misère et de leur récupérées
dans son combat. Il les a intégrées dans sa revendication.
La révolte n'est donc pas uniquement celle de quelques pays
touchés par le fondamentalisme islamique. Un rejet de l'Occident,
l'Afrique noire ou l'Amérique latine, ou l'Extrême-Orient
auraient certes pu le concevoir ou le formuler, mais non l'universaliser
dans son articulation. Il fallait, pour ce faire, une philosophie,
une religion qui, transcendant les frontières imposées
par l'Europe, s'avère capable d'unir en une même vague
des peuples différents par leur couleur, de les rassembler
sous une même bannière, de les conduire par des mots
d'ordre. Nous sommes bien, reconnaissons-le, face à une pulsion
formidable de l'histoire.
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Après des décennies,
sinon des siècles, de sommeil et parfois de soumission, voici
venir le temps de la revanche et souvent de l'enivrement, si même,
dans cette coalition hétérogène, les ambitions
s'opposent et les dogmes rivalisent. Dans des pays où il
y a le soleil ou l'ombre, le croyant ou l'infidèle, la vision
est simple : tout est blanc ou noir. Le bien ou le mal s'incarnent
on des personnes. Il y a Dieu ou Satan. Dans les bidonvilles et
dans les universités, des centaines de Julien Sorel
dont les esprits incultes ou formés aux disciplines occidentales
(mais dont les curs ne sont point fermés aux appels
mystiques) - rongent leur frein. Le marxisme leur offre une explication
simplificatrice de leur misère et des leur sous-développement.
Et les voici spirituellement mobilisés, matériellement
motivés et intellectuellement armés. Bref, ils en
veulent et nous en veulent.
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Des hommes-prophètes apparaissent.
Ils s'évanouissent et se réincarnent. Symboles d'une
espérance, ils se succèdent comme les tempêtes
de sable au désert, qui s'élèvent, frappent
et tombent pour réapparaître ailleurs. L'Esprit souffle
où il veut, Certains sont respectables. d'autres méprisables,
tous, par leur exaltation, sont dangereux.
Tous ornent aux jeunes une alternative à la société
occidentale matérialiste ; d'où leur immense audience.
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A une époque où le maoïsme
a rejoint son fondateur dans sa tombe, où le marxisme est
remis en question jusqu'en URSS ; où le christianisme s'interroge
plus qu'il n'inspire l'Occident, l'islam (ce terme signifie "soumission")
s'affirme dans le monde comme un immense soulèvement. Ses
contradictions sont moins faiblesses qu'occasions de surenchère.
Du tiers-monde. il reflète et traduit les aspirations comme
les revendications. Le fondamentalisme musulman est en marche.
(*)Ambassadeur.
Extrait de "Le Monde" du 07 01 1988
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